- L'écrit antérieur
Que des signes malins brouillaient de mille E
Et que leurs grands fichiers, étroits et trop verbeux
Rendaient pareils, en noir, aux alphabets runiques.
Les moules, en bougeant les casses deux par deux
Mêlaient d'une façon babélienne et prolixe
Les tout puissants accords des règles syntaxiques
Aux valeurs de l'accent modulé par mes voeux.
C'est là que tout est lu, pratiquant l'amalgame
En mêlant la biffure aux pages des copieurs
Et les encrages neufs, plagiés par des hâbleurs
Qui tous me pastichaient, m'ôtant du front la palme
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le manuscrit secret de mon oeuvre à venir.
Charles Bénabou, Comment j'ai plagié certaines missives
J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal
Les livres que je n’ai pas écrits, n’allez surtout pas croire, lecteur, qu’ils soient pur néant. Bien au contraire (que cela une bonne fois soit dit) ils sont comme en suspension dans la littérature universelle. Ils existent dans les bibliothèques, par mots, par groupes de mots, par phrases entières dans certains cas. Mais il y a autour d’eux tant de vain remplissage, ils sont pris dans une telle surabondance de matière imprimée, que moi-même à vrai dire, malgré tous mes efforts, n’ai pas encore réussi à les isoler, à les assembler. Le monde en fait me paraît rempli de plagiaires, ce qui fait de mon travail une longue traque, la recherche têtue de tous ces menus fragments inexplicablement dérobés à mes livres futurs.
Marcel Bénabou, Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres, Textes du XXe siècle, Hachette 2006.
Nous attendons tous ton oeuvre...
RépondreSupprimer:--)
Mon oeuvre future?
RépondreSupprimerLe texte 1 est ma production
Bravo pour cette oeuvre future déjà achevée ! Un régal !
RépondreSupprimerMerci, K !
SupprimerJe lis régulièrement vos textes sur le site de Zazie, c'est quoi, et moi aussi je me régale à cette lecture!