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lundi 16 novembre 2015

Pour un nouveau bistrot



     A.regarde le bistrot.
     Deux lampes à gaz d'essence l'éclairent.  A cligne des yeux, aveuglé par la lumière crue et glauque. Aux deux-tiers des vitres,  au-dessus de la barre d'appui, la buée s'élève, dessinant  les contours vagues d'une carte de  la City . Du côté de la porte ouverte de l'office, le jour pâlit. A et B . sont assis, côte à côte, sur la banquette de simili cuir gris, le buste incliné. La musique des  glaçons s'entrechoquant dans le verre d'un consommateur, puis un verre qui se casse leur font lever les yeux et s' humecter leurs lèvres sèches..
     A une distance de soixante-dix centimètres, un  client s'apprête à partir. Son verre a marqué  la table en formica clair de plusieurs auréoles qui se chevauchent, s'entrecroisent, se brisent, formant un réseau de cercles, d'arcs de cercles, de diagonales, de lignes inachevées dessinant une carte du  métro londonien. Il compte sa monnaie, la dépose  sur la soucoupe  en porcelaine d'un blanc lumineux, légèrement fissurée  regarde attentivement la note, tire son porte- feuille  de la poche intérieure droite de de son  blouson  en tweed; ses doigts rampent vers la soucoupe puis se retirent; il jette un regard oblique vers la porte, se lève, passe devant le comptoir, le cou enfoncé dans le revers de son col en  velours, comme par temps de smog, et sort  sans regarder A et B.
     Le barman fait son entrée par la porte ouverte de l'office, tenant à deux mains un plateau et la carte pliée  au coin  supérieur gauche .
Il fixe A et B, le visage orienté à contre - jour ."Vous,  ce sera quoi ? " dit -il d'une voix forte.
A regarde B qui regarde A , de ses yeux bleus.
Silence.
Les traces de buée sur la vitre se brouillent, formant une possible  mer où se noie le regard.
Le barman est en nage.

I. M , le néon qui grésille. A Bougie



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A la manière d'Alain Robbe-Grillet, dans La Jalousie, Editions de Minuit
d'où sont extraits les  mots ou phrases en italiques

Extrait ici 

Et là:
"A... est assise à la table, la petite table à écrire qui se trouve contre la cloison de droite, celle du couloir. Elle se penche en avant sur quelque travail minutieux et long : remaillage d'un bas très fin, polissage des ongles, dessin au crayon d'une taille réduite. Mais A... ne dessine jamais; pour reprendre une maille filée, elle se serait placée plus près du jour; si elle avait besoin d'une table pour se faire les ongles, elle n'aurait pas choisi cette table-là.
        Malgré l'apparente immobilité de la tête et des épaules, des vibrations saccadées agitent la masse noire de ses cheveux. De temps à autre elle redresse le buste et semble prendre du recul pour mieux juger de son ouvrage. D'un geste lent, elle rejette en arrière une mèche, plus courte, qui s'est détachée de cette coiffure trop mouvante, et la gêne. La main s'attarde à remettre en ordre les ondulations, où les doigts effilés se plient et se déplient, l'un après l'autre, avec rapidité quoique sans brusquerie, le mouvement se communiquant de l'un à l'autre d'une manière continue, comme s'ils étaient entraînés par le même mécanisme. 
        Penchée de nouveau, elle a maintenant repris sa tâche interrompue. La chevelure lustrée luit de reflets roux, dans le creux des boucles. De légers tremblements, vite amortis, la parcourent d'une épaule vers l'autre, sans qu'il soit possible de voir remuer, de la moindre pulsation, le reste du corps."

Edition électronique là 



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je regarde le bistrot il est lumineux clair
comme un smog londonien et sa glauque clarté
nous crève les yeux nous fissure l’esprit et on rampe
là l’un vers l’autre dans nos yeux et nos esprits
pendant que le jour se casse nos lèvres sèches lampent
la musique de nos boissons de tes yeux jolis
comme mer de possibilités là devant nous
l’autre est parti sans laisser de pourboire
et le barman nous fixe nous dit alors vous
ce sera quoi ? ce sera pour l’instant juste boire
le bleu de tes yeux ton regard ton visage
dans la mer de choses possibles là où on nage

Extrait du poème À Bourges de Ian Monk, in 14 x 14 l’Âne qui butine, 2014

L'oulipien de l'année/Zazipo

3 commentaires:

  1. Terrible comme on déforme tout avec l'actualité, d'autres mots me viennent en tête lors de la lecture comme "rage" ou "loin de la baie vitrée" qui n'ont bien sur aucune place dans ton texte.

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  2. Cela fait une bonne quinzaine de jours que j'ai composé et retravaillé ce texte, qui se voulait simplement un pastiche du roman de Robbe-Grillet, et du mode d'écriture du "Nouveau roman", d'où le titre.
    Ce passage "Il compte sa monnaie, la dépose sur la soucoupe en porcelaine d'un blanc lumineux, légèrement fissurée regarde attentivement la note, tire son porte- feuille de la poche intérieure droite de de son blouson en tweed; ses doigts rampent vers la soucoupe puis se retirent; il jette un regard oblique vers la porte, se lève, passe devant le comptoir, le cou enfoncé dans le revers de son col en velours, comme par temps de smog, et sort sans regarder A et B."
    avait d'abord été écrit de façon explicite, conformément au texte de référence"’l'autre est parti sans laisser de pourboire"
    Je l'ai modifié de façon à décrire des gestes, sans en donner le sens.
    Or, en le relisant hier, et en le voyant sur le site Zazipo, à côté d'un autre texte, j'ai eu la même impression que toi!

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  3. Oui c'est très intéressant ces exercices mais je ne me sens pas encore capable de jongler ainsi avec les mots. Mais lire quelques textes de ci de là m'amuse follement. Question d'intense concentration également.

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